“Allégorie et effets du Bon et du Mauvais Gouvernement” Fresque d’Ambrogio Lorenzetti
“Allegory and Effects of Good and Bad Government » Fresco of Ambrogio Lorenzetti
Retrouver les limites…
La ville est devenue la structure de l’économie mondialisée. Là où elle a été le lieu de décision de ses habitants, la forme politique par excellence, la ville semble aujourd’hui avoir abandonné son destin politique pour n’être que le dessin d’un capitalisme libéral débridé et de son outil, l’urbanisation. L’habitant citoyen a fait place à une génération de résidents clients vivant dans des métropoles démesurées et sans fin.
Sans fin car l’urbanisation a gommé les limites. La limite est la mise en tension de deux milieux différents. Les relations entre les choses qui, parce qu’elles adviennent naturellement, semblent ne mériter aucun travail et aucun entretien. L’émergence d’interrelations entre les humains et le vivant, entre les humains entre eux est pourtant issue d’agencement subtils, de non-dits, d’informel, voire parfois d’accidents. Aujourd’hui, cette tension n’existe plus. Elle a fait place à une coexistence proche mais aveugle.
…avec son territoire…
II n’y a plus de limite dans un territoire uniformisé et identique. Il n’y a plus de limite entre les habitants d’un territoire et une agriculture intensive dont la production ne leur profite pas
Nos modes de vie, de travail et de productions aujourd’hui, nous poussent à la spécialisation. L’organisation est simplifiée et les rendements optimisés. Nous séparons les choses, les espèces et les usages, les protégeons les uns des autres pour leur permettre de mieux se développer. La logique d’optimisation et nos modèles productivistes ont poussé les hommes et les femmes à délaisser les limites avec leur territoire, et faire disparaître les conditions de leur émergence. Cette déterritorialisation est un modèle d’établissement urbain et productif insoutenable (consommation des sols et de l’énergie, mobilité des marchandises privées…) provoquant l’affaiblissement des filières d’approvisionnement de production et de consommation liées au territoire, la dissolution de l’espace public et surtout, une perte de l’identité locale socialement reconnue et l’abandon de la notion de territoire comme bien commun.
…et redevenir une forme politique
Hannah Arendt écrit : « politics is based on the fact of human plurality. […] Man is apolitical. Politics arise in what lies between men and it is established as relationship ». Ce n’est pas de l’homme que naît le politique, mais bien de l’interstice entre les hommes. Le politique est un fait de limite, défini par une pluralité d’individualités.
Avec l’avènement de cette urbanisme sans fin et aveugle, la gouvernance et le management ont remplacé le gouvernement. Devenues trop grandes et trop compliquées, on espère pouvoir gérer les villes grâce à la “big data” ou à des technologies toujours plus “smart” pour atteindre des “objectifs” et des “impératifs”. Si grandes et si complexes que nous avons délégué notre pouvoir de décider toujours plus loin de nous dans un chef-lieu, une préfecture, une capitale et bientôt dans une multinationale.
Il est urgent de redessiner des limites dans cet infini productiviste. Des limites comme des archipels qui redessineraient la lisibilité dans l’océan métropolitain. L’archipel comme modèle, la métaphore fertile d’une constellation de mondes, d’objets et de conditions autonomes différentes et associées. L’île représente une volonté autonome, l’archipel, le groupement d’île, est une forme politique qui exprime une démocratie localisée au cœur des pratiques quotidiennes. La ville redevient une forme politique démocratique réinventant la citoyenneté. L’île comme le rapport dynamique entre l’homme et le vivant, l’essence de l’écologie et de l’urbanité, l’île réinvente la limite entre l’homme et le vivant, entre la ville et la campagne. La ville retisse ses limites avec la nature. La ville a retrouvé ses limites.
Recover the limits…
The city has become the structure of the globalized economy. Where it was the place of decision of its inhabitants, the real political form, the city today seems to have abandoned its political destiny to be only the design of unbridled liberal capitalism and its tool, the urbanization. The citizen has given way to a generation of resident customers living in huge and endless cities.
Endless because urbanization has erased the boundaries. The limit is the tensioning of two different media. Relationships between things that, because they happen naturally, seem to deserve no work and no maintenance. The emergence of interrelations between humans and the living, between humans between them is nevertheless the result of subtle, unspoken, informal, sometimes even accidental arrangements. Today, this tension no longer exists. It gave way to a close but blind coexistence.
…with its territory…
There is no limit in a uniform and identical territory. There is no more limit between the inhabitants of a territory and an intensive agriculture whose production does not benefit them
Our ways of life, work and productions today, push us to specialization. The organization is simplified and the returns optimized. We separate things, species and uses, protect them from each other so that they can develop better. The logic of optimization and our productivist models have pushed men and women to abandon the limits with their territory, and make disappear the conditions of their emergence. This deterritorialization is a model of unsustainable urban and productive establishment (soil and energy consumption, mobility of private goods …) causing the weakening of production and consumption supply chains linked to the territory, the dissolution public space and, above all, a loss of socially recognized local identity and the abandonment of the notion of territory as a common good.
… and become a political form again
Hannah Arendt writes: « politics is based on the fact of human plurality. […] Man is apolitical. Politics arise in what lies between men and it is established as relationship ». It is not from man that the politician was born, but from the interstice between men. Politics is a fact of limit, defined by a plurality of individualities.
With the advent of this endless and blind urbanism, governance and management have replaced the government. Having become too big and too complicated, we hope to be able to manage the cities thanks to the « big data » or technologies always more « smart » to reach « objectives » and « imperatives ». So large and so complex that we have delegated our power to decide ever further from us in a county town, a prefecture, a capital and soon in an international company.
It is urgent to redraw limits in this productivist infinity. Limits like archipelagos that redraw readability in the metropolitan ocean. The archipelago as a model, the fertile metaphor of a constellation of different and associated worlds, objects and autonomous conditions. The island represents an autonomous will, the archipelago, the island grouping, is a political form that expresses a localized democracy at the heart of everyday practices. The city is becoming a democratic political form reinventing citizenship. The island as the dynamic relationship between man and the living, the essence of ecology and urbanity, the island reinvents the limit in man and living, between the city and the countryside. The city is weaving its limits with nature.
The city has found its limits.